Bois magnétique

Oui, le bois n’est pas magnétique, il n’est pas attiré par un aimant.

Mais alors, pourquoi ce titre ?

Parce qu’il est trop long d’écrire dans un titre  :

 » Quand le bois devient magnétique  » , maintenant c’est fait.

Les épaves des bateaux, dont les pièces de bois sont assemblées par des clous en fer, peuvent constituer des objets d’étude qui permettent d’étudier les coproduits de dégradation du bois et du fer métal, telle une véritable expérimentation conduite sur des siècles ou des millénaire.

Le fer sous forme de métal n’existe pas à l’état naturel.  C’est un matériau produit par l’homme, grâce à un procédé de réduction d’oxydes de fer par fonte, découverte qui marque l’avènement de l’âge du fer. A la surface de la Terre, notre atmosphère est oxydante, du fait de la teneur en oxygène (21% actuellement). Le métal ferreux s’oxyde donc au contact de l’air, ce qui produit la rouille, juste retour du fer a son état initial.

Pour une épave, le couple bois-fer n’est pas un mariage des plus perenne sur le temps long. Nous venons de le voir, le fer métal n’est pas stable en contact de l’air. Le bois non plus, il s’oxyde aussi. Cela revient à casser les chaines de carbone le constituant. A une échelle de temps géologique, on va jusqu’à former des hydrocarbures, correspondant à des molécules beaucoup plus petites que celles du bois. On en est pas là en seulement quelques siècles ou millénaires !

Plusieurs facteurs peuvent accélérer ce processus de dégradation du bois. L’activité biologique, bien sur, est certainement la plus efficace. C’est par cette voie que la biomasse est recyclée et que les produits de dégradations enrichissent les sols. La lumière, par son rayonnement, est aussi efficace. Les processus photochimique de dégradation du bois sont ainsi responsable du grisonnement des bardages bois. Des réactions chimiques, avec des produits corrosifs pour le bois, peuvent aussi l’attaquer. Ces réactions peuvent être accélérées par un catalyseur. C’est ici que le fer rentre en jeu.

Le fer est un catalyseur de dégradation des molécules organiques. Donc, en contact avec du bois, de l’eau, voir des sels qui y sont dissout, le cocktail bois-fer en milieu humide produit des conditions défavorables aux deux constituant majeurs.

La disponibilité en oxygène du milieu pilote les réactions chimiques possibles. Si l’épave est dans l’eau, sur le fond, alors elle n’est pas protégées des agents physiques (érosion mécanique associé aux courants) et des attaques biologiques. Si elle est enfouie dans les sédiments, la matière organique contenue dans le sédiment, plus fragile, va s’oxyder et ainsi consommer l’oxygène disponible. Le sédiment, en vieillissant, s’appauvrit en oxygène jusqu’à qu’il n’y en ait plus de disponible (ni pour les réactions chimiques ni pour l’activité biologique). Pour autant, la Terre continue à tourner et le milieu à évoluer. Le soufre « S », l’élément chimique, est un bon analogue de l’oxygène « O ». Donc au lieu de fabriquer des oxydes de fer notre réacteur chimique va fabriquer des sulfures de fer. L’état stable dans ces conditions du milieu est la pyrite (FeS2), l' »or des fous ». Oui mais, il faut du soufre. Le vivant est un bon accumulateur de soufre. C’est donc la matière organique en décomposition qui en est la source.

Bon, bilan du point de vue magnétique : le bois = diamagnétique, le fer métal = ferromagnétique, pyrite = paramagnétique. C’est pas avec ça que le bois vas devenir magnétique.

Oui mais, le passage       Fe + 2S    ->    FeS2      n’est pas si simple.

Il existe des phases transitoires dont l’une, la greigite (Fe3S4) qui est un analogue de la magnétite (Fe3O4). Ces minéraux sont les minéraux naturels les plus magnétique. Ainsi, les produits de dégradation du fer métal diffusent dans les canaux vasculaires du bois et produisent, si les conditions chimiques sont appropriés, de la greigite qui se transformera ensuite en pyrite. Le bois devient alors magnétique ! mais sont état de dégradation est avancé. Bien sur le bois n’est pas magnétique, mais les traces de greigite nanométrique, donc invisible, qui sont présentes dans les vaisseaux vasculaires du bois imprègnent le bois d’un constituant magnétique. Voila pourquoi il apparait magnétique. Attention, cela reste difficilement perceptible sans les moyens techniques du magnéticien.

Les propriétés magnétiques du bois d’une épave archéologique pourrait donc être un outil de diagnostique efficace pour évaluer les besoins de traitement des bois d’épave en vue de leur conservation.

Bon, le manque de référence bibliographique dans ce texte n’est pas un gage connaissances avérées. Trouver les bonnes références me demanderais beaucoup de temps de recherche pour rester dans la logique d’un texte accessible. Si vous souhaitez aller plus loin, je vous propose nos publications sur le sujet :

Assemblages bois-fer et biocorrosion : étude des sulfures de fer formés en conditions anoxiques dans des bois d’épaves. Céline Remazeilles, Francois Lévêque, Egle Conforto, Philippe Refait. Revue « Matériaux et Techniques », 2017
https://hal-univ-rochelle.archives-ouvertes.fr/hal-02345846
 
Post-treatment Study of Iron/Sulfur-containing Compounds in the Wreck of Lyon Saint-Georges 4 (Second Century ACE). Céline Remazeilles, Laure Meunier, Francois Lévêque, Nicolas Plasson, Egle Conforto, Marine Crouzet, Philippe Refait, Loïc Caillat. Studies in Conservation, Maney Publishing, 2019, pp.1-9. ⟨10.1080/00393630.2019.1610608⟩
 
Contribution of magnetic measurement methods to the analysis of iron sulfides in archaeological waterlogged wood‑iron assemblies. Céline Remazeilles, Francois Lévêque, Egle Conforto, Laure Meunier, Philippe Refait. Microchemical Journal, Elsevier, 2019, 148, pp.10-20. ⟨10.1016/j.microc.2019.04.062⟩

 

Tout nos résultats ne sont pas encore publiés… donc il y aura une suite. Qui sait, peut-être de nouvelles études. Vous connaissez une épave qui va être exhumée ??? Je suis sur que ça pourrait intéresser les membres de l’équipe. C’est pas tous les jours que l’on regarde les fruits d’une expérimentation involontaire débutée il y a des siècles, voir presque deux millénaires pour les épaves antiques. Avec l’exhumation, dès les premiers instants de mise en contact avec l’air, cette belle expérimentation réalisée involontairement par ceux qui ont foulés le sol bien avant nous, sera détruite. Il est donc de notre responsabilité, en arrêtant cette expérimentation par l’exhumation de l’épave, [expérimentation qui pourrait tout aussi bien se poursuivre et ainsi être transmise aux générations futures] de récolter toutes les informations que nous sommes actuellement en mesure de collecter.

révisée 27 juin 2020